Marine BOUILLOUD

Texte de Morgane Estève sur la peinture de Marine Bouilloud, février 2016.
Texte écrit dans le cadre des résidences d'artistes de Montfort Communauté et de son lieu d'art contemporain, L'aparté.


Entre la glace et le feu, le ciel et la terre, le yin et le yang, entre science et poésie, le travail de Marine Bouilloud trouve son équilibre dans la géométrie de figures élémentaires, complètes et complémentaires. Très épurées, réduites à leur plus simple écriture, elles se tiennent au service de la peinture et s'accordent au choix d'une palette chromatique précisément définie. Considérant la querelle esthétique qui opposa en son temps les partisans du coloris à ceux de la ligne, Marine Bouilloud affiche la couleur, et tient la forme pour composante additionnelle. Son univers est assurément celui d'une coloriste et sa maîtrise avérée du sujet est alimentée par de nombreuses sources théoriques, parmi lesquelles les travaux de l'historien Michel Pastoureau, de l'historien d'art John Gage ou encore des peintres Johannes Itten et Josef Albers.

Dans le cadre de sa résidence à L'aparté, sur le domaine de Trémelin, l'artiste a produit deux grandes peintures sur papier inspirées par l'évocation des lieux. Se répondant l'une à l'autre, Narcose et Corps subtil évoquent la dualité et la complémentarité des éléments. Après avoir fait ses gammes – chromatiques – en fonction de la sensation colorée du paysage hivernal, Marine Bouilloud définit la silhouette du plan d'eau comme signe opérant du site.

Intrigante, à la fois tranquille et cependant mystérieuse, l'étendue du lac suggère à l'artiste un traitement de nature introspectif. Pour Narcose, une gamme de couleurs froides, du bleu profond au vert turquoise, scande de ses cercles concentriques la couche superficielle de l'eau, comme l'émission d'une onde irisant et réveillant sa surface. La musicalité de ce rythme résonne comme un écho retentissant et pénétrant. Le titre, en référence à l'ivresse des profondeurs – ce syndrome affectant les plongeurs en apnée, à l'origine de troubles de la conscience – baigne la peinture dans un espace en suspension. Au centre, la vacuité du cercle demeuré blanc, tel l'oeil du cyclone, aspire vers un abîme et ouvre sur un imaginaire lacustre.

Ceinturé d'un chemin de promenade à la lisière de la forêt, le lac rayonne au-delà de son strict périmètre, en dehors des sentiers battus. Corps subtil, composée d'une palette de teintes à dominante chaude, se construit comme un enchaînement de lignes peintes à main levée, ondoyantes et vibrantes, presque impénétrables, en écho à la végétation qui borde le site. Appliquant la loi du contraste simultané des couleurs, énoncé au 19è siècle par le chimiste Michel–Eugène Chevreul, Marine Bouilloud joue de la proximité immédiate de certaines nuances entre elles pour provoquer un mélange optique, une perception par assimilation. Telle une tranche d'agate découverte dans le sol rocheux du territoire, telle la souche d'un arbre centenaire ou le relevé topographique du relief, l'artiste suggère une coupe transversale, faite de rubans successifs colorés, irradiée par la luminosité volcanique de la peinture elle-même. Les lacets sinueux, témoignage de flâneries en bordure du lac, évoquent le cheminement de pensée à l'origine de l'émergence de la composition.

L'exposition se poursuit par la présentation d'un ensemble de peintures de taille plus réduite, réalisées sur papier entre 2013 et 2015. Les formes simples y sont représentées : le cercle bien-sûr, contenant le carré, le losange, le triangle, figures symboliques par excellence, mais aussi la ligne courbe, l'ondulation, un tracé qui se libère. Par un savant jeu optique de formes et de couleurs associées, l'artiste mise sur la force de la subjectivité et la relativité de la perception chromatique pour permettre une lecture personnalisée, propre à chaque regard. D'une oeuvre à l'autre, un puzzle se construit sur chaque rétine vigilante et active. L'usage de pigments fins et saturés, jouant de l'effet lumière du blanc savamment dosé, induit une vibration sensible et personnelle.

Cette résidence de six semaines dans l'atelier de L'aparté, véritable observatoire sur le territoire, partagée entre moments de solitude et temps de rencontres, a été l'occasion pour l'artiste de donner naissance à une nouvelle dynamique picturale. La construction géométrique normée, déjà familière, s'appuyant sur les outils de tracé comme le compas, la règle ou l'équerre, s'accompagne ici d'une dimension créative plus spontanée et libérée, une évolution en marche, à la mesure du paysage naturel environnant.

Plaidant l'éloge de la lenteur, le temps nécessairement étiré de la création, celui de la peinture ligne à ligne, trait à trait, celui qui mûrit le travail, Marine Bouilloud convie le spectateur à la même disposition de perception attentive, contemplative, tantôt hypnotique ou onirique. A l'échelle du corps entier ou du regard en particulier, ses oeuvres perturbent les certitudes, comme une subtile invitation à la réflexion.